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Lettre d'une bossale. 1768

Ma tante,

Il y a maintenant plus d’un mois que je suis arrivée sur cette terre nouvelle. Ma mère est morte sur le bateau et a été jetée par-dessus bord. Arrivée à terre, il y avait beaucoup d’autres hommes, de femmes et d'enfants comme moi qui venaient de d’autres bateaux ; beaucoup dont je ne comprenais pas la langue. Mais nous étions silencieux, car nous étions nus, palpés, retournés touchés par des Blancs qui me tâtaient le ventre et les seins, jusqu’à ce que l’un d’eux nous mit dans un char à bœufs. Je ne comprends pas leur langue mais ils parlent de manière rude, ils crient et leurs yeux sont haineux. Les hommes me lèchent d’un regard qui me fait peur. Depuis, j’arrache des racines, je sarcle, je bêche, le dos courbé au soleil dans une robe-sac de jute grossière sous le regard malveillant d’un homme à cheval à la cravache facile. Et il me regarde toujours. Nulle part où fuir. J’ai appris quelques mots de leur langue, mais il parait que je ne pourrais jamais revenir sous le baobab du village. Je suis de l’autre côté de la mer qui prend si longtemps à traverser. Il n’y a pas assez d’eau dans cette mer pour l’eau qui coule de mes deux yeux.

Ako Longué

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