top of page

 >>>  trace 39.  Texaco, le retour - vendredi 12 février 2021

MY BUTTON
MY BUTTON

Si tu étais un livre ?

 

Je serais un Prix Goncourt écrit par plein d'auteurs.

Le rouge et le noir. Rue Cases-Nègres. Un roman picaresque, un roman d'aventure. Don Quichotte. No pasaran. Tropiques. Le mien.

Et c'est ainsi, pages volantes, que nous sommes entrées dans Texaco.

 

C'est la deuxième fois que nous traçons à Texaco de nuit. Le quartier nous connait, maintenant. Greg me reconnait : Hey sista ! Je vois qu'il y a un homme ce soir avec vous ! Greg fait partie de ces jeunes corps que l'on a dû mal à imaginer un jour vieillissants. Il a une vie qui semble être patchworkée d'errances, de joies, de nuits, de copains, d'oisiveté et d'éternité. Mais peut-être qu'il est autre. Je n'en sais rien. En tous cas, il se souvient de notre discussion de la dernière fois : Pourquoi ya pas d'hommes dans vot' truc ?

La question n'est effectivement plus "Où sont les feeeemmes / avec leur gestes pleins de chaaaaaarme ?" Mais : "Où sont les hommes ?" Est-ce qu'écrire c'est se mettre à nu, et qu'en matière de striptease, les hommes seraient pudiques ? Est-ce que se poser et écouter son silence intérieur c'est trop leur demander ? Est-ce que marcher dans la rue, nez en l'air n'est pas une attitude suffisamment virile pour un boug-pays ? Est-ce qu'écrire est une affaire de bonnes femmes ?

Jean-Claude, qui est donc notre homme du soir, lui est venu à la Traaace parce que, dit-il "quand je suis à l'étranger, je regarde, j'observe, j'écris mes impressions, je décris ce que je vois. Et j'ai jamais pensé que je pouvais aussi regarder mon pays."

Effectivement, le pays semble acquis pour nous, hommes comme femmes, qui y sont plantés depuis que le bateau nous a chayés là. On ne le regarde pas, sinon de travers.

Pourtant, il faut le longer le pays. Il faut s'assoir sur son macadam, entrer dans ses petites veines, s'arrêter là où l'on ne s'arrête jamais : dans ses bords, dans son dos, dans ses entrailles...

Nous longeons le canal, enjambons ses odeurs de canal.

Nous longeons le vide, la nuit. Un grand trou noir dans lequel s'esquisse la profondeur de la mer, de la beauté et de la laideur. De l'autre côté du vide, le port, une rive illuminée de vies.

Nous pénétrons dans les ruelles que seuls empruntent les voisins, le silence et les souvenirs. Au détour de l'une d'elles, il y avait un bar dont il ne reste que l'auvent bleu, Au Tranquille le Chat. Les parties de dominos, les fous-rires, les grandes gorges, le rhum ont immigré en bas, à côté des grillades et de la rue qui borde le quartier.

Texaco est une affaire d'hommes. D'homme-dehors. "La compagnie des hommes bavards" est ici, sur son bord-mer. On entend leurs rires, leur fraternité, leurs ay-koké-manmanw à mille kilomètres à la ronde. Quand on entre dans les entrailles de Texaco, les voix s'estompent. Dans le silence, se découpent quelques silhouettes d'hommes.

Il y a ceux que l'on devine, que l'on décrit, dont l'on se souviendra.

Il y a celui-ci assis sur les marches d'un perron : "Quand madame regarde sa télé, il faut pas la déranger. Comme y'a pas beaucoup de bateaux pour la Gwadloup en ce moment, je reste là tranquille. J'appelle la famille." Ça fait 13 ans que PSG vit ici, à Texaco, "après 35 ans de métropole".

Plus loin, alors que nous écrivons à Monsieur le Maire sur la nécessité de conserver Texaco en l'état ou de le reconstruire, arrive Dan. Il va à un anniversaire, nous montre le cadeau fait de ses mains. Il nous raconte comment était le quartier avant. Il nous raconte ses jeux d'enfants, le travail de son père : charroyer du matériel, creuser des trous, construire le pays-Texaco. Il écoute nos Lettres avec attention, les commente, pense vraiment que nous allons les envoyer à Laguerre. Et trouve que c'est admirable. Nous-mêmes on y croit à nos mots. Oui, il y aura un Parc d'Attraction Nautique sur le canal ! Oui, il y aura un téléphérique au-dessus du quartier ! Il faut changer, sur-enchérit Dan. Pourtant, les éclairs dans ses yeux, c'est quand il revient sur le passé, quand il liste les Pionniers et nous raconte la Doum, en bas. Les zombies, les plongeons. Le bonheur.

Alors, à notre tour, nous songeons à nos Doum à nous, à ces lieux que l'on porte en nous, comme un tégument, une peau intime qui enveloppe nos organes, porte l'empreinte de notre famille et fonde la matière de nos plus beaux souvenirs. Peut-être même, qui nous aide à habiter le présent et nos autres ailleurs. Nos migrations.

Et à bien y réfléchir, à force de marcher, je me demande si la Traaace n'est pas aussi une Doum.

Conte, rendu by manzelKa

avec

Jean-Claude

Eliane 

Yasmine

Christine

Yolande

et Dalila

animatrices :

Véronique et Isabelle Kanor

20210212_183543.jpg

BIBLIOGRAPHIE

Patrick Chamoiseau

TEXACO

Ed. Gallimard, 1992

Prix Goncourt 1992

bottom of page