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S'approprier Césaire, ça veut dire quoi ? Triturer ses mots, les dessosser, les fourrer des nôtres... ? Cet atelier va désacraliser le Bonhomme Fondamental et, ce faisant, permettre d'approcher ses textes pour parler librement d'une de ses notions-clé : l'identité. Isabelle Kanor

Si tu étais une identité ?

 

Papiers s'il vous plait  ? Devant l'église qui tient encore debout par l'opération du Saint-Esprit, chacun présente son identité sur un document établi par la sous-préfecture "des chiens qui se taisaient". Dans le groupe, il y a Mme Marie-la-mer, Mlle Disparu, Mr Mure (prénom : Mur), Man Oiseau, Mr Matin... Toutes les races sont représentées : humaine, grise, nègre (rayé), rapiécée, délabrée, d'ici, cosmopolite. Certains sont "trop vieille", "immémoriel", D'autres ont "l'âge du moment". Leur ancêtre commun : le Rebelle, un héros d'une pièce d'Aimé Césaire qui se présentait ainsi :

Mon nom : offensé,

mon prénom : humilié,

mon état : révolté,

mon âge : l’âge de pierre,

ma race : la race humaine,

ma religion : la fraternité.

 

Avec un petit Cahier en main, nous arpentons Basse-Pointe. D'abord les terres de l'ancienne habitation Gradis avec ses maisons collées-serrées, ses champs de bananes et la CTM qui a élu domicile dans la demeure principale. Ecrire ensemble, mêler nos identités stylobiciennes avec l'ombre des mots de Césaire sous nos mots. Faut pas se laisser impressionner ! C'est vrai qu'elle est grande cette ombre. C'est vrai qu'on se sent parfois tout petit devant des phrases comme "Il ne me reste plus qu'une petite rose de tison volé" ou encore "yeux protégés par trois rangs de paupières gaufrées". Pas de complexes à avoir : on n'est pas là pour greffer Césaire à nos pointes-bic, ni pour le copier-coller, ni même pour usurper son identité, mais pour accoucher de la sienne propre. Et force est de constater que l'on  n'est jamais plus près de soi-même lorsque l'on est... soi-même. Encore faut-il savoir qui on est... C'est le problème ! L'identité est un animal vivant et sauvage qui vit en meute ; or la meute bouge, se déplace. Un jour là, un jour là-bas. Parfois la meute bannit certains, en intègre d'autres dans un jeu mouvant. Quand on croit l'avoir domptée, son identité, la voilà qui s'échappe et propose une autre définition. Arrogant, celui qui croit avoir ancré son moi-je. Mon père aurait dit : "oui, faut faire avec. Viens manger. J'ai fait des ignames."

Pour rejoindre le front de mer, nous coupons par un hameau. Un petit escalier désaffecté colimaçonne entre quelques vérandas. Sur l'une d'elles, Clémence : 98 ans, une casserole à la main et un mari Alzheimer dans l'autre. J'ai envie de la photographier.

- Man Clémence, man vlé fè fotow ?

- Ou sé moun Gwadloup ?

- Han-han, an sé moun Marin.

- É ou ka di "vlé". Moun Gwadloup ka di "vlé", ici nou ka di "lé".

Effectivement. Mais à ma décharge, ce sont des Gwadada de Paname qui m'ont mis mon identité dans la bouche.

Bref, à ma question "photo", Man Clémence répond niet. "Man tro lèd !" Je me contente donc de sa main. Et c'est d'ailleurs cette même main qui a construit il y a nanni-nannan (au temps où elle travaillait dans la banane) les escaliers que nous venons d'emprunter.

Nous voici de l'autre côté de la nationale, en face d'un océan sargassé. Au bord, des maisons résistent, d'autres ont capitulé et se sont barrées en laissant leur sol derrière elles. Naitre ici, se reconstruire ailleurs. Une dame nous regarde, les cheveux couverts d'une pâte vert sombre, du henné, un banc en bois fait semblant d'être debout mais s'écroule sous nos fesses. Les apparences ne disent pas l'homme. Ni les choses. Nous écrivons. Autour, le vent, l'écume fracassée, les pierres entassées et les mots de Césaire s'invitent dans nos textes. C'est comme ça : les textes sont des cases aux portes ouvertes. Comme le Saloon de Mégostar. L'homme n'est pas là. Mais sur une table, il a laissé à notre intention des grappes de cocos, quelques figues, un concombre, des tomates pas encore mures, du thé glacé et une liqueur aux pruneaux. Nous déposons nos bics, refermons nos petits Cahiers. Ce sont les intentions qui disent un homme.

Notre état ? Content.

Conte, rendu by manzelKa

Vous écoutez ALAIN JEAN-MARIE,

"An ti kaz la" sur l'album Délirio

avec Marie-France,

Fabienne, Yoann,

Philippe, Vincent

Hermence, Florence...

Le texte de l'atelier

Au fil des lectures de chacun des participants, Isabelle a attrapé des phrases au vol et les a consignées pour en faire un texte qu'elle a restitué à la clôture de l'atelier.

Félix Sainte Rose. Depuis le jour déchirant de mon départ, tout s’éteint, tout s’éboule du pays tel un château de cartes au-delà des horizons. Soif de liberté, de perles de toutes les nuances, comme j’ai hâte. Oh avec des yeux, j’ai faim de toi. La petite sagaie rame à l’envers, note une date à ne pas oublier, laisse au creux de mon corps une larme de souvenir. La main courante devient main de fer. Me suis cogné face contre murs. Que m’importe-t-il ? Corps habité, trois dos de zébu. Comme j’ai soif de vie !
 

La source, épice de mes nuits, est tarie distillant ronce par ronce un maigre chemin en quête de paix.

Je veux. Je ne veux plus m’abreuver. J’ai réduit le silence à ma parole pour que ricoche aux hommes un soleil brûlant, vivant, libéré des pierres blanches.
Tu m’embrasses, tu m’agaces, j’étouffe sans rien dire surtout dans le désert. C’est ainsi, c’est assez de planer comme un Nègre majestueux : Eïa pour les miens retrouvés dans le désert qui se dit silencieux, espace vierge à arpenter, à cultiver dans le Nord de Basse-Pointe ! Qui rêve encore de grandeur ? Regardez petits-fils, demain approche en reculant. Avant, après, aller vers l’écho, au milieu des sargasses, des laisses de mer.

Tu marchais vers moi, infini, une vision de ce moi qui dévore, abandonne. Rebelle, je reste autour de l’arbre de l’oubli. Eïa, braver le désert ! La carte voyageuse m’inspire et je vous apprendrai. Au bout du petit matin, je vous offrirai mon nom, comme un vieux sort.

Désastre.

Ai-je mon nom ? Océan au gout d’ancêtre avant l’autre vie jusqu’au cri aimé d’Aimé. Mes poings se taisaient étouffés par le vent sous les fruits à pain.

Désastre.
Peu à peu, je desserre les poings, Césaire ouvrant une césure à Basse Pointe.
Envie de grand large. Lire et relire la carte voyageuse du pollen. Mon identité est-elle fragile ?

Désastre.
L’identité de soi est bancale si on ne joint pas l’état du vécu. Quelle identité ? Au singulier ou conjuguée au pluriel ? Devenir à s’émouvoir et s’émouvoir de ce qui nous entoure.
Une mer à traverser, folle sa liberté.
Debout à la barre. Debout et libre.
Le chien fou aboie au maître. Nos espèces, nos races, nos terres. Ecoute le passé, glorions nous : quand l’identité sait d’où elle vient, tout bas, on y va pas à pas.

Vidéo :

Vincent Gayraud

extraits des Césaire lus (ou pas) pendant cette trace

CAHIER D'UN RETOUR AU PAYS NATAL, Présence Africaine 1956

FERREMENTS, Seuil 1960

DISCOURS SUR LE COLONIALISME, Présence Africaine 1955

DISCOURS SUR LA NÉGRITUDE, Présence Africaine 1987

NÈGRE JE SUIS, NÈGRE JE RESTERAI, ENTRETIENS, Albin Michel 2005

L'APPEL AUX MAGICIENS, in la revue La Martinique, 1944

UNE SAISON AU CONGO, Seuil 1966

UNE TEMPÊTE, Seuil 1969

LA TRAGÉDIE DU ROI CHRISTOPHE, , Présence Africaine 1963

ET LES CHIENS SE TAISAIENT, Présence Africaine 1958

et, voici un extrait d'une version filmée d'Un cahier d'un retour au pays natal :

animatrices

Isabelle Kanor

Véronique Kanor

conceptrice

Isabelle Kanor

Le Labo des Lettres

Extrait de NOTRE CAHIER D'UN RETOUR AU PAYS NATAL. Réal. Véronique et Fabienne Kanor.

Prod. La Noiraude & Cie, 2014

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