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L'atelier est construit en 3 temps : l'esclavage, l'abolition et la réparation. En faisant résonner les mots de chacun avec ceux de tous, les pistes d'écriture ouvertes nous permettront d'expérimenter la notion d'être les maillons d'une même chaine. Isabelle Kanor

Qu'est-ce que tu abolirais, toi ?

Les grandes solitudes !  Les moustiques ! Le machisme, le formatage à l'école, la fatigue, les a-priori faciles, l'intolérance, la méchanceté, la négativité. Pour René, la seule abolition qui vaille, serait celle des noix de coco qui  tombent sur sa tête quand il sieste... sous un cocotier ! Peut-être vaudrait-il mieux abolir sa sieste ! En tous cas, c'est ainsi, avec tous nos décrets ,que nous sommes descendus à Saint-Pierre.

... à saint-Pierre où, en 1848, était arrivé Le Big Décret. Celui de l'abolition de l'esclavage. 170 ans plus tard, nous voici donc dans les pas du temps d'avant, à écouter, à écrire les échos de cette histoire.

Ce 22 mai 1848, y avait t-il, aussi, une menace d'ondée tropicale ? Manquait-il des gens à l'appel ? A t-il fait gros-soleil finalement ? Y avait-il un tambour qui résonnait ? Des conques de lambis qui étaient soufflées ? A 6h du soir, les rues étaient-elles aussi désertes que celles que nous avons traversées ce 21 mai 2018 ? 

Tan fè tan. Tan kité tan. Dans quel temps sommes-nous aujourd'hui ? Dans le temps des soleils faciles, oisifs ? Dans le temps des poings baissés ? Dans un temps parvenu ? Ou dans un temps qui sait que le mauvais peut revenir, revient, sévit autrement, ailleurs comme ici ? Get ready. 

Sur les marches de la Rue monte-au-ciel transformée en "marché aux mots esclaves", nous avons vendu des mots qui avaient un corps : Liberté, Aboyer-l'innocence, Confiant, Chanter-bravache, Chemin-délaissé-caché, Coups, Droit-de-liberté, Oeil-bleu-du-béké. Et nous les avons exploités dans les champs de l'imaginaire, à créer des textes libres. Chaque homme est un peuple, exploitant-exploité. Chaque homme est un tambour, creux et chargé. Appelons la liberté ! Chaque homme est Romain, l'esclave Romain.

Et la nuit est tombée,

Van-an lévé. Ka élé, ka hélé, ka mandé lè répondè. Au loin, résonnaient les tambours du Mouvement International des Réparations.
Et puis le silence.

avec Marie-France,

René, Pegguy,

Danièle, Fabienne,

Philippe, Vincent

Marie-Annick...

 

Derrière une grille rouillée, un parc abandonné. Et le noir dissimulait un figuier maudit immense, un fromager aux bras de géant. Et nous. Avec nos bétafè à piles, nos crayons, notre solitude, écrire.

"avec des bouts de ficelle
avec des rognures de bois
avec de tout tous les morceaux bas
avec les coups bas
avec des feuilles mortes ramassées à la pelle
avec des restants de draps
avec des lassos lacérés
avec des mailles forcées de cadènes
avec des ossements de murènes
avec des fouets arrachés
avec des conques marines
avec des drapeaux et des tombes dépareillées
par rhombes
et trombes
te bâtir"
  (Aimé Césaire)

Et nous ? Nous qui avons cheminé dans la vie, avec nos blesses, nos coups, nos fragilités, avec quoi nous réparerions-nous, avec quoi nous bâtirions-nous deep inside ?

Conte, rendu by manzelKa

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Au fil des lectures de chacun des participants, Isabelle a attrapé des phrases au vol et les a consignées pour en faire un texte qu'elle a restitué à la clôture de l'atelier.

Le tex te de l'ateli er

Chemins délaissés, cachés, insoupçonnés par le non-habité.
Œil bleu du béké ; aboyer l’innocence, le droit de liberté, vomir les maldisants, chanter-bravache. Résistance. Grandipotance propre à tout homme confiant.
Le possible et l’impossible coup.
Où est la liberté ?

Je partais confiant chantant bravache. Je levais mon regard, mon corps réduit vers cette reconnaissance de liberté.
Liberté, liberté, j’écris ton nom dans les chemins délaissés.
Liberté, liberté, as-tu fermé la porte ? Tu l’auras longtemps cherchée. Tu iras, tout droit de liberté, loin de l’œil du béké. Liberté, un chemin entre la confiance et la sérénité.

Qui n’a pas pris de coups ? Fulgurance de liberté, je ne fais que m’incliner. Les hauts dirigeants ont été confiants : le droit à la liberté. 23 mai, aucun rescapé. Sur ce chemin délaissé, le Nègre s’aventurait. Vive ma liberté ! Martinique belle, tu t’envoles.
Il y a des pierres sous mes pas. Ma peau s’use. On m’appelle Romain. On m’appelle et je viens. Le combat reste le même. Je suis l’esclave Romain. Jouez mon tambour, qu’on m’affranchisse !
J’attends ma liberté qu’on tarde à m’attribuer. Ce jour-ci je n’imagine rien d’autre. Ce jour-là, je n’imagine rien d’autre, comme si j’étais devenu tambour.
Nou chapé. Pwofité jodi pa a si abitasyon. Sa ka mété lajwa pli douvan. Fizi ka palé. Poutchi zot ka fété 22 mé ? Mété zot ansanmb pou an bel divini.
Je suis l’esclave Romain, je me suis battu. Laissez-moi m’en aller.
L’eau ne circule plus dans les caniveaux de Saint-Pierre. Semble-t-il, tout a changé.
J’ai croisé l’œil bleu du béké, moi Romain, l’eau a coulé depuis. Me voici de retour 170 ans après. L’air semble libre mais aussi coincé dans les interstices. Laissez-moi m’en aller.
Libre – le 23 mai 2018 – chaque jour de mai 1848 demeurait sans lumière. Merci mes frères pour cette nuit. On donne à cette rue mon nom : j’accepte. Foutaise. Pierrotins, Foyalais, Martiniquais ! Qu’est-il advenu de vous ? Comment repartir avec l’indicible de l’Humanité ?

Sans façons?

Sans vos tu-dois ?

Sans rien avoir avoir à pleurer ?


Avec les mots et les joies d’avant.

Avec l’enfant qui vit.

Avec mes croutes aux genoux.

Avec ton rire déployé.

Avec du vent, du rêve, du futur.

Avec des projets.

Avec le bruissement du vent.

Avec le cri des grenouilles.

Avec le blues des plantations.

Avec ta façon de ne rien dire du pire.

Avec ceux qui m’ont appris.

Avec d’autres.

Avec toi et même sans toi.

Avec toi.

Avec mes fêlures, mes lézardes, mes scarifications.

Avec mes sutures défaillances.

Avec le courage.
J’ai choisi la vie avec ses petits riens.
Avec confiance.
Avec moi.

Avec moi en capitaine.
Me réparer. Bâtir une vie.
Me bâtir.

extraits des œuvres lues pendant cette trace

Daniel Maximin - L'ISOLÉ SOLEIL, Seuil 1981

Raphaël Confiant - NÈGRE MARRON, Ecriture 2006

Aimé Césaire - MAILLON DE LA CADÈNE,

in Cadastre, Seuil 1961

extraits des discours

Toussaint Louverture, 29 aout 1793

Louis Delgrès, 10 mai 1802

Victor Schoelcher, 1842

Christiane Taubira, 18 février 1999 

animatrices

Isabelle Kanor

Véronique Kanor

conceptrice

Isabelle Kanor

Le Labo des Lettres

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