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L'idée de cet atelier est de récupérer la ville pour la refaire en mots. Nous allons utiliser tout ce qu'elle recèle pour écrire des textes, ériger des monuments aux mots, statufier des tous petits riens. Voyons voir comment chacun s'empare de cette ville de chair et de murs pour en faire une ville en papier. 

Isabelle Kanor

Si tu devais jeter la 1ère pierre ?

 

Elle ferait des ricochets... Je la lancerais du haut d'une falaise... sur les VHU ! ... dans l'eau ! Je la mettrais au bout de mon chemin, pour savoir que je vais quelque part... Ce serait pour construire... un cairn... Elle servirait à abolir la propriété ! ... Je ne la jetterais pas ! s'offusque Alexane, tout juste 18 ans et des étoiles plein le cœur. Et c'est ainsi, avec toutes ces pierres en main, que nous sommes allés bâtir nos textes dans le bourg des Anses d'Arlet.

On construit une ville comme on construit une vie. Par nécessité, en lien avec d'autres. On construit une ville comme on construit une vie. Dans le désordre souvent  En faisant des erreurs,  à l'aveugle, en suivant son instinct ou les habitudes du groupe. Et puis un jour tout s'écroule. Le bois pourrit. Fer-arthrose. Ce qui est plein se fissure. Les joues se creusent. Le souffle devient court. Des pans de murs se rident puis s'écroulent. La peinture s'écaille. Un pouchine passe...

Sur ce qui est tombé, sur les hommes morts, sur les pierres entassées : d'abord des friches, des herbes folles, l'indompté, le sauvage. Un autre désordre. Sur ce qui est tombé, de nouveaux rêves s'érigeront, d'autres murs s'élèveront. Un nouveau désir prendra place... avant, à son tour, de la laisser, cette place..

Nous marchons dans les Anses d'Arlet, nous y prenons place, oubliant ceux qui sont déjà en place. La vie regarde passer nos vies et tchippe : "Bonjour !!! Vous ne savez pas que, quand on croise des gens, on leur dit bonjour ? Vous passez et vous ne dites rien !"  Le monsieur s'énerve sur nous qui ne l'avions pas regardé. La vie nous rappelle que tout compte, que tous comptent. Prenons garde la prochaine fois que nous croiserons un homme, une femme, une fleur, un bout de mer... la prochaine fois que nous serons vivants, pensons à donner le bonjour, comme on donne la vie. 

Nous avons construit une nouvelle vie dans cette ville rongée d'anciens souvenirs. Derrière l'église, nous avons érigé un monument à nos glorieux mots morts... Morts pour quoi en fait ? Pour avoir cru changer le sens du vent ? Pour avoir dénoncé les culs de sac, les impasses ? Pour avoir voulu démolir des sens interdits ? Pour n'avoir pas été écrits à leur juste valeur ? Morts parce qu'autrement, ça voudrait  dire qu'ils n'auraient pas vécus.

Avec des objets oubliés, insignifiés, auxquels personne n'accorde un bonjour, nous avons élevé des statues. Puis, dans le désarroi et le fatras des pierres pêle-mêle, nous avons fait des plans sur la comète d'Arlet, joué aux architectes et bâti : un orphelinat du bruit de la pluie*, une mairie des choses inutiles, une bibliothèque des grands soleils qui se lèvent quand je me couche*, une gare des solitudes invaincues, un pont des coeurs brisés, un jardin d'un bout d'un petit matin, une prison des désirs desséchés qui font aller-retour*, un cimetière qui ne mène nulle part, une cabane des pourquoi sans parce que et un palais présidentiel où chacun serait libre de prendre la place... et de la laisser.

Attention, quelqu'un approche ! 1... 2... 3....

Bonjour !

Conte, rendu by manzelKa

 

* titres extraits de poèmes de Faubert Bolivar

avec Marie, Fabienne Marie-Renée, Julie Cynthia, Julien,

Florence, Alexane

Félicia, Yasmine...

 

animatrices

Isabelle Kanor

Véronique Kanor

avec la complicité de

Fabienne Kanor

conceptrice

Isabelle Kanor

Le Labo des Lettres

Le tex te de l'ateli er

Au fil des lectures de chacun des participants, Isabelle a attrapé des phrases au vol et les a consignées pour en faire un texte qu'elle a restitué à la clôture de l'atelier.

Murs, murmures pour lui, morts pour moi.
Gloire à la femme totem des Anses d’Arlet. Couleurs mortes car nous ne les regardons plus.
A toi, Ô montagne tombée, effritée, éparpillée
Au Lambi de la bonne nouvelle mort pour n’avoir pas su tenir dwet la vaillance des guerriers Caraïbes. Aux guerriers morts pour la liberté.
A notre ailleurs reconstitué, mort d’un manque de rêve. Au revoir douceur.
A nos arbres vénérés. A nos ruelles suffocantes. A la communion enlevée par l’individualisme.
A l’air marin, assassiné par les chalutiers de l’ignorance humaine.
Je dis adieu, chers visiteurs des Anses d’Arlet.
Juste en face, gaz à tous les étages : 17,56 euros. Déclinaison du verbe gazer : aisance. La vie semble douce devenue monument après un long chemin.
Les Anses domino, la mer les relie. Avant d’arriver à ce lieu, unissons nos compétences. Vous verrez Mr Ying et Mme Yang rescapés de la mer en 1848.
Sur toutes les places de la Martinique, un lieu où les hommes et les femmes se rencontrent. Retrouvailles et promesses. Le Sénat tient des mots malélevés : Bal mi plezi, art de vivre, dansez, dansez. Caresse antillaise : un mot qui nous ment, mots prometteurs, posés de manière spontanée, élimée, bleue délavée autour d’une bouteille de Trois Rivières, Duquesne, des cadavres d’Heineken, un miroir Ricard. An nou alé kay Alex !
A côté, un poème. Apprends-moi.
A cet endroit, il n’y a jamais rien eu ; une vieille carcasse, l’élue des choses inutiles. J’ai désigné une place, jardin du petit matin. C’est là que nous avons grandi. Puis la vie a passé. An tan lontan la maison a vacillé, s’est fendue. La nouvelle école, la cathédrale, un moment où je me perds. Lieu de poésie. Lieu des danses des mauvais Nègres. On peut imaginer des hibiscus, des bougainvilliers. Tout le monde peut être entendu et prendre la place du roi. Ou la laisser. Lanmou sé pa an bol toloman. Pépé se servait d’une catapulte pour se faire projeter sous les fenêtres de la princesse. Je suis allé voir Pépé, j’ai arpenté ces allées abandonnées et pierres abimées par le temps. Je me suis assise, submergée par la solennité de ce lieu. Au milieu du village, j’ai dessiné le cimetière. Les morts s’expriment et me donnent des idées.

Après un au revoir, je commençais mon voyage. En tête, une seule chose, ma cabane, la question des "après". Début des questions sans réponses. Pourquoi moi ? Pourquoi lui ? Lieu pour se répondre, pour élever la gare des solitudes invaincues, point de ralliement de toutes les solitudes. Horizons infinis sur la mer. Point de convergence de 5h30 à 19h45 des pas dits perdus. Voyage intérieur au dessus de l’eau.
Des anciennes essences d’herbes au détour d’un sentier, seules les fondations persistaient.
Concevoir. Construire. Découvrir. Tisser les vies des éléments. Hors des murs, amortir les bruits des pas, on n’arrête pas Ismelka.
S’afficheront les mémoires des puits, traces d’une bâtisse d’autrefois. L’histoire d’un site pose toujours une graine pour demain. Je croyais qu’on choisissait les lieux.

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extraits des œuvres lues pendant cette trace

Edouard Glissant - L'INTENTION POÉTIQUE, Gallimard 1997

Derek Walcott - LE ROYAUME DU FRUIT-ETOILE, Circé 1987

Maryse Condé -  EN ATTENDANT LE BONHEUR, Robert Laffont 1988

Syto Cavé - LES RUES, in Qui d'un soir, Montréal, Cidihca 2011

Faubert Bolivar - MÉMOIRES DES MAISONS CLOSES, Éditions Bas de page 2012

Patrick Chamoiseau - TEXACO, Gallimard 1992

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