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 >>>  trace 21 Le jour la nuit Samedi 17 mars 2018 - Quartier Citron-de-Briant

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Il semblerait que les grands écrivains et poètes trouvent plus d’inspiration sous la lumière de lune. Fake news ? C’est ce que nous allons tenter d’explorer dans cet atelier. Qui du jour ou de la nuit transportera l’écriture ? Mais lorsque le jour disparait, que nous nous retrouvons dans cet entre deux : notre écriture est-elle plus proche du chien ou du loup ? La nuit tous nos mots deviennent-ils cris ? C’est cette enquête que nous vous proposons de mener au cours de cet atelier qui commence avec le coucher du soleil et finit dans les ténèbres. Isabelle Kanor

Si tu étais entre chien et loup ?

Je serais silence... je serai agneau... invisible... bruissements de nuit... chien fer à 2 fers... je n'aurais pas de collier... je grimperais vite fait aux arbres... Ce samedi, à Citron, tout le monde avait son idée pour ne pas rester coincé entre un clébard et un loup-garou !

Avant que le chien ne devienne loup et que nos yeux trébuchent sur l'obscur, nous avons quitté la place de la Cascade, heureux de cette rando-écriture qui allait nous emmener dans un creux de nuit. Les voisins, les vieux, les jeunes, les oisifs, les ménagères, les travailleurs qui rentraient nous regardaient passer. "Hey, je suis curieux ! Vous êtes qui ?" Lui, c'est un rasta, sur sa terrasse. Il y aussi l'oncle de Tika sur son balcon perché, Toumaï-Dominique du musée Man Lucia, ou encore ces jeunes tenant les murs du vide et qui nous sourient. Hier soir, ils nous avaient repérées, Isabelle et moi, en train de... repérer une dernière fois les lieux. "Vous êtes pas de la DEA ?" J'ai dit "Non, on est en mission" en me demandant ce qu'était la DEA... mais je n'avais pas trop le temps de poser trop de questions. Il y a tant d'explications à donner quand on traverse un quartier populaire avec un carnet et un bic en main. Il y a tant de regards à croiser, d'émerveillements à choper, tant de temps à partager, de tcheks à distribuer... Il faut aussi rassurer cette mère de famille qui se demande pourquoi on a tracé à la craie la forme d'un mot sous sa fenêtre : Elle pense peut-être que nous sommes des quimboiseurs de la pire espèce... Ce qui n'est, somme toute, pas si faux. Les mots peuvent ensorceler, charmer, dérouter, égarer. Celui qui t'écrit "je t'aime" et s'en va avec une autre... ca te tue non !? Celui qui te donne un bonjour comme on lance une pierre, ca peut te mettre à terre, t'entrainer dans des trous tout noirs n'est-ce pas ?! D'autres mots mofwazent un homme en papillon, en colibri, en horizon invincible. Et toi, dis-moi, qu'es-tu prêt à devenir à cause ou grâce à un mot ? Elle a raison de se méfier, la dame...

Nous arrivons près de la rivière, à de-Briant. Le crépuscule et des milliards de marches nous attendent. Pas après pas, nous traversons le quotidien des habitants.

- Bonsoir madame ! Vous montez comme ça tous les jours ? "

- Laissez-moi vous dire : j'ai 73 ans et ça fait 60 ans que j'habite ici !

J'aurais aimé échanger mes mollets aux hormones contre les siens si tjok. Et nous grimpons et nous grimpons dans l'incroyable beauté de cet enchevêtrement de maisons et d'arbres, dans cette intelligence entre les hommes et leur morne. Derrière nous, au loin, les lumières de Foyal creusent un trou dans la nuit, Le jour est définitivement mort. Qui l'a assassiné ? La nuit ? A la barre improvisée d'une terrasse surplombant le noir, les témoins se succèdent. Parmi eux : mesdames Angoisse, Chandelle, Man Solitude et Absence, messieurs Amour, Fantôme, Chat-Gris et Loup-Garou avancent des témoignages contradictoires. Pour certains, la culpabilité de la nuit dans ce crapuleux meurtre ne fait aucun doute. Mademoiselle Rêve, incarnée par la petite Noa de 8 ans, refuse de dire ce qu'elle sait. Mais out of record, elle révèle que la nuit n'y est pour rien. Parce qu'une nuit, c'est doux, une nuit, c'est chaud. C'est gentil une nuit.

Et je crois bien qu'elle dit vrai Noa. Ce bout de nuit vécu tous ensemble sur les hauteurs de Foyal n'était ni chien ni loup mais vachement chouette.

Conte, rendu by manzelKa

avec la petite Noa, Hermence, Lucette, René, Marie, Vincent, Fabienne, Marie-France, Yolande, Christine, Manuella, Tika...

 

LE TEXTE DE L'ATELIER

Au fil des lectures de chacun des participants, Isabelle a attrapé des phrases de chacun

et les a consignées pour en faire un texte final qu'elle a restitué à la clôture de l'atelier.

Magie de découvrir un texte neuf mais fait avec nos mots recyclés ! Ecriture-écolo !

Plaidoyer pour la nuit.

Je suis pour la nuit. Je peux être du jour et de la nuit, pas de parti pris. 

Kouman ou la toujou ? Mi wėlėlė! Le jour s’éteint sur ce chemin à dos cimentė.  BLIP! Sė douvan jou man santi sa. Et même le crépuscule a mis sa capsule. Kitė lannwit-la tonbė. Les soupçons pèsent, le milan passe.

Sur les hauts de Trenelle, j’attendais la nuit et j’ai vu le jour gravir. Tout est lumière : bel bonjou !

Moi, nuit, je suis absente. Mwen asasinė jou-a. La, mwen an plas mwen.

Aprėzan tou linivè kontan, je suis fantôme, je ressuscite la nuit. Sans le jour, la nuit ne peut être aimée. Éternelle présence du jour. Ne peut-on pas écrire la nuit dans les lettres du jour ? 

Je vous aime. Je vous aime. Je suis amour. Amour. Le jour était consentant. Ouh ! Ouh ! Je suis Loup-garou, le jour n’est pas mort. Le jour et la nuit jouent, quand l’un dort l’autre vit. Moi, chat, je lui dois mon gris de nuit, je vous le jure sur mes pattes. Chacun son air. Nuit et jour se sont battus. Nuit et jour. Ciel et terre. Et là, jour est mort? Je jure de dire la lumineuse vérité, si je mens, je vais à midi. Je suis minuit, l’heure du crime et du coït.

C’est elle, cachée entre le chien et le loup, oui c’est elle la nuit. Elle se voulait seule. 

Après l’astre vient le désastre. Celui qui part aux quatre coins du monde. Celui qui quitte son pays fantôme. Celui qui ne sait pas où est sa destination.

 

Quand tu arriveras près de la rivière lève la tête. On devine la vie des maisons construites à la diable, en équilibre précaire. Empilement de volumes décalés. Dédale de murs. Dédale de labyrinthes. Des escaliers encore et encore. Gare à la mine. Ancre-toi, observe la lumière de tes paupières closes. Rouge des toits, bleu des volets. Reste là, égare-toi. Tu verras un chat sur la main gauche, une maison bleue au sommet du mont Trenelle. En face de toi une montagne de persiennes en camaïeu. Ferme les yeux : odeurs de confiture de goyave, de café. Franchis le pont, tu poseras ton corps fatigué. Équilibre végétal. À Citron, un zeste de verdure, morceau de Fort de France. Artisan de cette ville chère à Césaire. Tu verras ces maisons suspendues, ralentis tes pas, écoute ces nouveaux sons et ces lumières. Chaque maison a son chien, brouhaha de son quotidien. Bruissement du courant de l’eau, rap urbain. Écoute le bruit de l’eau. Quand tu arriveras près de la rivière, pense à prendre des nouvelles d’André.

 

Temps perdu ! La nuit est tombée, j’arrive près de la rivière. Tout est sombre, c’est la Nuit. Il y a des bêtes à feu, des lucioles, c’est la maison de Man Lucia. Me voilà au point de départ d’autres lumières. Tiens il y a même des étoiles, loupiotes éparpillées pour parler avec André que ma mère a tant aimé. Je te rejoins, les chiens aboient. Tout cela semble éternel. Je respire. Chaque marche m’entraîne vers un monde parallèle, habitat collé-serré. Silhouettes quadrillées de feu. Ombres portées par les luminaires urbains. Deuil du jour sérénade. Vie, mort, vie, jour, pile ou face.Tak Tak.

Franchir le gué et me retourner. On devine ce pan de morne, végétation floue.Je prends le temps d’écouter les grenouilles. L’eau est à mes pieds. Campagne dans l’Enville, la vie est là. 

Accrochée à la falaise, la ville s’endort. Vestiges noirs. Nuit créole. La nuit nous unit. Elle nous lie.

Et Si je restais entre Citron et de-Briant ? A Citron, je me suis souvenue : je n'ai pas de part sombre !

extraits des œuvres lues pendant la trace

Patrick Chamoiseau - SOLIBO MAGNIFIQUE, Gallimard 1988

Véronique Kanor - COMBIEN DE SOLITUDES, Présence Africaine 2011

Simone Schwartz-Bart - PLUIE ET VENT SUR TÉLUMÉE MIRACLE, Seuil 1972

Léon-Gontran Damas - IL EST DES NUITS in Pigments, Présence Africaine 2001

Et pour veiller plus loin

Derek Walcott - OCEANO NOX in La lumière du monde, Circé 1987

Ananda Dévi - INDIA TANGO, Gallimard 2007

Léon-Gontran Damas - PARCE QU'IL N'EUT ÉTÉ NI DE JEU in Black label,

Gallimard 2011

Guy Régis Junior - NUIT in Anthologie de poésie haïtienne contemporaine,

Points 2015

animatrices

Isabelle Kanor

Véronique Kanor

conceptrice

Isabelle Kanor

Le Labo des Lettres

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