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Cet atelier d’écriture revisite l’exposition « Afriques » de la Fondation Clément. Il est l’occasion de partir à la recherche de nos savoirs et représentations sur ce continent. Abattre les frontières et les remplacer par des mots et des couleurs, faire émerger nos questionnements et débats sur la colonisation et les flux migratoires, l’écriture permet de déconstruire les préjugés et de changer nos regards. Dans cet atelier, les masques d'hier tombent  pour laisser la voix à nos Afriques d'aujourd'hui. Isabelle Kanor

Si tu étais sous l'arbre à palabres, à qui t'adresserais-tu ?

A mon père, à mon père moi aussi, à  ma  grand-mère que j'aimais, à ma fille, à moi-même, aux gens qui seraient en face de moi, à moi-même aussi pour m'écouter plus souvent, au silence... Et c'est ainsi, avec cette  foule intérieure que nous avons pénétré en AfriqueS.

Ecrire l'Afrique depuis la Martinique, c'est écrire une filiation. Que l'on soit noir ou blanc, zèbre tout hachuré de contradictions, on est aussi rouge de colère, bleu ciel, vert foncé, jaune d'espoir et forcément nègre. Que l'on soit noir ou blanc, on voit tous le blanc sur le noir, le sud largué au nord, les diamants, les terres et les forêts spoliés. Mais que l'on soit noir ou blanc, on sait la grandeur des masques, la puissance des esprits, l'invisible ancestralité. En Martinique, après l'abolition, l'Afrique était devenue fantôme. Combien de grands-parents la refusent encore ? L'ignorent encore ?

Depuis les années 90, elle figure à nouveau sur l'acte de naissance des Martiniquais. Reconnue, légitimée, parenté.

A Clément, daperrisé pour l'occasion, ils nous attendaient les masques. Les divinités muettes étaient debout, encagées de verre.

Et nous, nous circulions entre les colonnes, en chair, en os. Masqués aussi. Quels masques portons-nous jour après jour ? Masques toujours blancs ? Masques sociaux ? Derrière quel costume, dissimulons-nous nos peines, nos vrais désirs ? Derrière quels rôles, masquons-nous notre singularité ? Quelle épaisseur font nos masques intimes ? Et si nous devions convoquer un Dieu, Oshun, Amma, Eshu ? Qu'est-ce que nous attendrions qu'ils fassent pour nous, personnellement ?

Mais il y avait foule, ce dimanche à Clément. Pour ne pas déranger, nous avons appris à applaudir à la sourde, en claquant juste des doigts ! Mais il y avait quand même trop-trop foule ! A moins que nos consignes n'aient été trop floues... Difficile d'entrer dans ses vallées intérieures, d'aller là où la savane est aride, la mer séchée, dans des cases mal-debout. Les textes étaient néanmoins très forts, particulièrement engagés... sur le versant collectif. Nous étions partis pour écrire nos Afriques ; nous avons écrit l'Afrique.

Sur le versant intime, personne ne s'est pleinement aventuré dans sa brousse, pour débusquer son fauve, faire tomber un de ses masques et faire de l'Afrique, son Afrique, cette terre première où se rejouent personnellement des dominations féroces, des émancipations ratées, des alliances fragiles. Un terrain où se pose l'existentialisme.

Si, Martine a osé. En fissurant son masque, elle nous a révélé sa fragilité à elle. Le silence ému qui a suivi a parlé, nous a trahis, nous-tous assis en rond près d'elle restée debout, un peu hors du cercle. Son masque, nous-tous aussi nous le portons. Nous le taisons pour faire belle figure, pour être au monde cette personne fréquentable. Mais son masque à elle est celui de chacun. C'est un masque qui parle de l'usure de la vie, de son illisibilité parfois et de ce qu'elle nous vole en passant sur nos corps.

Conte, rendu by manzelKa

 

extraits des œuvres lues pendant la trace

Léopold Sédar Senghor

Aimé Césaire, NÈGRE JE SUIS NÈGRE JE RESTERAI

(Albin Michel 2005)

Léon-Gontran Damas, LIMBÉ (Présence africaine 1966)

Frantz Fanon, PEAU NOIRE, MASQUES BLANCS

(Seuil 1952)

Raphael Confiant, NEGRE MARRON (Ecriture 2006)

Lyonel Trouillot, CARNAVAL (in Anthologie de la poésie contemporaine haïtienne - Gallimard 2015)

Et pour africaner plus loin

Patrick Chamoiseau, FRÈRES MIGRANTS (Seuil 2017)

Daniel Maximin, L'INVENTION DES DÉSIRADES

(Présence africaine 2000)

avec Nicole, Claudine, Mathilde, Lucette, Jean-Laurent, Gilberte, Marie, Martine, Brigitte, Emmanuelle, Sylvia, Nadia, Maryse, Pegguy, Marie-Line

 

LE TEXTE DE L'ATELIER

Saisi sur le vif par Isabelle pendant que les écrivants lisaient leurs textes, le texte de l'atelier est composé uniquement de bribes des  phrases glanées dans les lectures des participants.

Aujourd’hui mon père doit me parler de mes ancêtres.
Aube véritable. J’accepte. Je suis le soleil, le combat. Et la force s’efface. Le soleil ne réchauffe plus, il brûle et englobe tout.

Aujourd’hui, la diaspora réaffirme l’homme noir ébloui par la couleur du jaillissement qui est aussi celle de la honte. Couleur primaire, peuple du Levant, esprit de la panthère noire. Je laisse.
Tes Afriques ne forment qu’un malaise, incertitudes, chaos, clous dans la chair. Cri de Damas, Césaire, Senghor : raisons d’Etres. Poupées noires de la terre, du bois monumental, les boucliers se dressent !
Afrique spoliée, luxuriante beauté attisant les convoitises, combien de forces tu possèdes ? Où est passée votre tigritude ? Lèvres épaisses, visages, corps. Apartheid, Afrique asservie : les hommes de l’ANC se sont battus. N’oublie pas ta force, végétation nourricière qui apaise. Fond de bouteille pour tout t’avouer. Je garde espoir en vers et contre tous.
Où est le père ?
Il y a l’un et il y a l’autre. Il y a un sauveur, il y a un dictateur. Je n’entends plus Indépendance, cha cha cha. Il y a noir et plus noir encore. Il y a les hachures déshonorées, maltraitées, humiliées. Comme si on avait brûlé ton âme, Toussaint Louverture ! Sang, le mélange n’a pas pris, l’Afrique revendique sa liberté, vaillance féminine, blessures sur la feuille vide, plaie rouge de toutes les mères douloureuses du mensonge public, médiatique. Femmes armures, corps troués. Résiste, tu es la guerrière éternelle.
La victoire s’obtiendra par le sacrifice obscur. Victoire !
La peau résiste, le sang gicle à mains nues. Déchirer le monde blanc des visages fardés, deuil du retour.
Il est midi moins à l’heure Africaine.
Combien d’eau saigne-t-elle, la terre assoiffée ?
Femmes capsules au rythme du ndombolo, gri-gri en carte mutante, ce n’est que l’envers du décor. Mwen las, palé mwen di rasin mwen, di zansèt mwen. Lwen-lwen adan lan mè-a. Sous ce ciel bleu, cours et sauve ta peau. Pointe aussi ce bel arc en ciel.

Je suis née au Congo. J’ai traversé les océans. Je peux tout voir. Je peux te dire qui tu es.  Mes yeux voient par-delà la chair. Je suis cette gémellité, cet assemblage de chairs. Je suis cette force offerte de se retrouver en moi. Je suis ces oreilles à l’écoute, ce frère, cette sœur. Ma bouche attend. Je suis cette tête à plusieurs faces. Double et un à la fois.  Je renais, je danse, cours, lance mes grandes jambes. Adieu Grand-Mère !
Je suis pour quelques instants ce que je rêvais d’être.
Et j’ai fermé mes yeux. J’ai envie de crier. J’ai envie de pleurer.
Tu peux agir pour toi. Ton moi est debout, pulsation du cœur. 
Je viens du fond des âges, je suis la terre, le bois, le végétal, l’Humanité sage.
Je suis l’esprit féminin. Je suis le vent, le sang, le firmament.
Je suis lent. Je suis moi, immortel.
Mwen ka eséyé pousé pou akouché tou sa mwen ni an didan mwen. Mi fè !
Je ne suis pas anonyme, je garde les yeux sur le monde. Je le perfore. Où sont les hommes qui priaient ? Où sont les hommes qui priaient ?

Peur du masque. Je suis et c’est cela qui importe. Ainsi soit-il.
Ô grand Ogun, délivre-moi que je puisse écrire le monde tel que je le vois. Ô femme sage du Bénin, envoie du silence. Au nom du Père. Opono. S’il te plait, arrête.
Ô Shango. Tak pitak pitak, Zip zap wap. Pitak pitak tak ! Soley Lévé !
Je t’implore, toi qui connais les douleurs prénatales, aide moi à revenir à moi-même. Fais- moi sirène. Prends-moi dans tes bras.
Ô Nyambé, je t’offre ma douleur
.
Ô Dewi Nawang Sassi, mon âme souffre de gerçures
Zulu, Zulu. A bénino oyé, bénino yé, siyé mal mwen.
Ô toi, déesse de la forêt, wou ki ka akonpagné lespwi moun mo, toi qui recrée l’harmonie, fais-moi fouler les terres. Je n’ai presque pas de mots. Pète les parois de verre !

Toi, Divinité créatrice de l’univers, mets l’anarchie, le désordre, la nostalgie. Je t’en prie, redonne moi le goût des autres.

Trois fois viendront les danses, les chants, les enfantements.
Merci. Merci. Merci.
Qu’il en soit ainsi. Le soleil cheminant brillera dans la nuit.
La terre ressemble à l’Afrique. Je cours là-bas.
J’ai rêvé de ce jaune, volé les statues en silence. Le vent chante. L’histoire avance.
Construire – Ecouter – Retenir.
Toujours être l’Afrique fantôme.

animatrices

Isabelle Kanor

Véronique Kanor

conceptrice

Isabelle Kanor

Le Labo des Lettres

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